Pierre Notte a notamment signé pour le théâtre une trentaine de pièces présentées ou traduites dans 17 pays et son parcours est jalonné au fil des années de nombreux prix et nominations.

Le Théâtre de la Fleuriaye propose un parcours afin de découvrir plus largement son univers, avec la programmation de trois de ses pièces et l’animation d’un atelier d’écriture. Une autre facette de ses nombreux talents…

Rencontre avec Pierre Notte

Vous êtes à la fois auteur, metteur en scène, comédien : dans quel rôle vous accomplissez-vous le mieux ? Éprouvez-vous un plaisir et/ou une nécessité plus forte ?

Il est toujours question d’écrire. C’est toujours de cela qu’il s’agit. D’écritures différentes. La musique, le théâtre, le dialogue, la chanson ou le roman. Mettre en scène, c’est écrire des mouvements, des enjeux, un espace, écrire des rapports sur une scène entre des figures, des personnages, des individus, une écriture qui peut contrecarrer ou épouser l’écriture du texte. Jouer, être comédien, c’est encore écrire, dans le vent, dans l’air, sur le sable, mais écrire une musique de la voix, une manière de dire, de représenter, d’incarner ou de désincarner, de bouger son corps, de danser forcément. Tout le monde écrit, d’une manière ou d’une autre. Et tout ici relève pour moi, j’avoue d’une nécessité que j’ose dire vitale. J’écris, n’importe quoi, n’importe comment, de toutes les manières, porté par une espèce de nécessité impérieuse. Sinon je tue, ou je me tue. Alors j’écris. C’est préférable…

Lorsque vous travaillez sur une pièce de théâtre, dissociez-vous clairement les étapes d’écriture et de mise en scène ?

Ce sont deux choses absolument contraires, opposées en tout. Écrire une pièce, c’est composer seul, isolé, un dialogue, une trame, constituer une matière, un matériau, tenter d’orchestrer une sorte de chaos imaginaire, comme abstrait, et composer une langue, une musique. On est seul avec ça. Mais au plateau, on n’est jamais seul. Sur scène, il s’agit d’écrire à l’opposé, avec les corps, avec les voix, composer avec les états et les identités des comédiens, les comédiennes, les artisans du théâtre, les lumières, le son, l’espace, et écrire une relation à établir avec les spectateurs, les spectatrices, comment la construire, cette vie, cette brûlure, ce mouvement sur le plateau. Ce sont deux choses tellement différentes… Et jamais la mise en scène ne doit venir dire à nouveau ce que le texte dit déjà. Mais inventer d’autres choses encore… à côté, en dessous, par dessus, ailleurs… Ce sont deux écritures complémentaires qui doivent, il me semble, s’affronter, s’opposer, s’épouser, divorcer, s’entretuer et se nourrir.

Comment naissent les thèmes de vos pièces ?

Ce sont des sujets qui agissent, qui jaillissent, je n’y peux rien. Des sujets qui assiègent, qui assaillent, alors je passe à l’étude, je me laisse assiégé, et j’explore, j’approfondis, je les saisis et les trifouille. Ce sont des peurs, des hontes, des effrois, des désarrois. C’est par exemple l’horreur d’être ensemble en famille, la peur des deuils à venir, des impossibles réconciliations. C’est la lutte des pouvoirs dans le monde du travail. C’est la misogynie ordinaire et acceptée, actée, tolérée. C’est la honte d’être un homme dans une société phallocrate dirigée par des hommes où les femmes sont sans cesse insultées. C’est la montée d’un fascisme décomplexé, joli et blondinet, souriant et enfantin. C’est l’impuissance face aux catastrophes du monde. Il y a un geste, une anecdote, un fait divers qui me frappe, m’envahit, une phrase qui surgit, comme ça, de l’extérieur. Un truc qui vous saute à la gueule. Et je deviens obsessionnel. Pour m’en défaire, je dois écrire. Écrire pour me défaire du sujet qui obsède. Pour en rire aussi. C’est là seule chose dont je suis à peu près capable, et encore, mais je ne sais rien faire d’autre.

Vous allez animer mi-novembre un atelier d’écriture auprès de lycéens et un second auprès d’habitants : pensez-vous qu’écrire s’apprend à tout âge, que l’on peut tous développer un potentiel créatif ? Que souhaitez-vous transmettre lors de ses ateliers ? On écrit, tous, tout le temps. Tout le monde. Tout le monde écrit. Même moi. Je viens de nulle part. Sans bagage. Comme tout le monde. Et tout le monde a peur d’oser écrire. Mais tout le monde écrit. C’est une arme formidable, un outil, un accessoire nécessaire pour comprendre les barbaries du monde, les petites catastrophes ou les grandes, les désastres intimes, pour s’en défaire, pour prendre les distances qui s’imposent, pour en rire aussi, autant qu’on peut. Pour regarder en face ou pour s’éloigner des petites ordures intérieures. Tout le monde le fait, tout le monde peut le faire. Je peux peut-être espérer être capable de prouver qu’on peut tous, et ensemble, décomplexés, profiter de cet outil, l’écriture. Il est là, à notre portée.  À toutes et à tous. On en fait ce qu’on en veut, selon qui on est. Mais tout le monde peut tout faire.